vendredi 25 novembre 2011

Mont Fuji : Petit topo

Il y en a bien parmi ceux qui viennent faire un tour sur mon blog (et parmi ceux qui y viendront plus tard) certains qui tenteraient bien l'aventure "Mont Fuji". Dans beaucoup de guides, et sur de nombreux blogs de précédents grimpeurs, on trouve globalement les mêmes types de conseils, mais les avis diffèrent souvent quant à la réalisation de la chose. C'est-à-dire que clairement, je vois deux discours : soit le Fuji est globalement une longue grimpette, pas pour les débutants certes, mais abordable, soit c'est un calvaire sans nom qui, malgré son enjeu passionnant et qui en vaut le coup, demande beaucoup de courage et de force physique.
Pour ceux qui ne sauraient plus à quel saint se vouer (comme moi avant de grimper), je vais tenter d'être la plus objective possible.

Je me borne d'emblée à parler d'une ascension de nuit, ce que de nombreux marcheurs entreprennent dans le but de voir le lever du jour au sommet du mont.
Il s'agit donc de suivre les pistes bien aménagées sur les flancs du volcan, sur un dénivelé de 1500 m environ, ce qui prend, vu la raideur de la pente, 5 à 6 heures pour le marcheur moyen.
Grimper la nuit a des avantages. En calculant bien son temps, en comptant les pauses et sans arrêt dans un refuge, on est à peu près sûr d'arriver tout en haut juste avant le lever du soleil. Pour ce faire, je pense qu'il faut absolument éviter les week-ends. Nous étions parties un jeudi soir, et ça se corsait un peu niveau fréquentation lors des passages étroits proches du sommet. Je n'ose imaginer ce que ça aurait été un samedi...
En ne s'arrêtant pas à un refuge pour quelques heures ou la nuit (ce qui est tout à fait possible, cependant, mais pour la nuit entière il faut réserver à l'avance pour avoir de la place) on économise, surtout. Parce que 5000 yen (presque 50€) ou plus la place en refuge, dans des conditions assez spartiates, euh...j'ai préféré affronter le froid de la nuit ce coup-ci.

Mais une ascension de nuit a, comme je l'ai peut-être bien fait sentir dans mon récit précédent, de sérieux inconvénients ; il fait nuit, évidemment, et il fait surtout extrêmement froid.
L'obscurité ne facilite bien sûr pas la tâche quand ça grimpe sec et qu'il faut escalader des amas de roche volcanique. La lumière frontale reste indispensable (et j'ai bien galéré sans, malgré l'aide de mes compagnes). Je pense aussi qu'il serait difficile de grimper dans de bonnes conditions sans de bonnes et vraies chaussures de marche. C'est presque une question de sécurité lorsqu'on se fraie un chemin entre deux rochers ou parce qu'on glisse parfois facilement sur les petits cailloux qui composent le sol. Globalement, les premières heures d'ascension se font sans heurt, mais ça se complique assez vite. Non pas que ce soit insurmontable, mais c'est éprouvant, les genoux sont beaucoup sollicités et les rochers énormes à escalader se succèdent presque sans fin jusqu'au sommet. Il vaut mieux prévoir de quoi grignoter même si on n'a pas trop faim, histoire de recharger régulièrement les batteries. Tout ce qui est calorique est bénéfique, les "coups de fouet" réguliers sont nécessaires vu l'effort demandé ! Selon certains guides touristiques, il y a en effet des risques d'hypoglycémie une fois arrivé au sommet. Barres de céréales, chocolat et autres feront bien l'affaire. Et évidemment, il faut boire régulièrement.

L'autre problème majeur d'une ascension de nuit est la température. A moins d'être suréquipé  et prêt à tout éventualité comme un Japonais (mais je ne pense pas que le touriste de base s'encombre de la combinaison de randonnée en montagne adéquate lors d'un séjour estival au Japon), il faut au moins savoir qu'on va avoir froid de toute manière. Alors autant prévoir au moins quatre épaisseurs, je pense. La chute de température est vertigineuse surtout entre la station 7 et la station 8. Des gants épais et un coupe-vent sauveront peut-être la mise si vous n'êtes pas trop frileux. Sinon, il vaut mieux s'attendre à "bien se les cailler" au sommet, car, j'insiste, il fait *vraiment* super froid là-haut (oui en même temps à 3 700 m d'altitude, je sais...). Les heures de marche s'accumulant, et malgré les pauses et les divers casse-croûtes, c'est à une sacrée nuit blanche que vous aurez affaire. La fatigue est accentuée par le froid et les coups de vent incessants qui balaient les flancs de la montagne. Lorsque vous devez patienter immobiles dans des passages fréquentés, c'est presque une torture.

Un autre souci réside dans la perte d'oxygène au fur et à mesure de l'ascension. Même si elle est assez minime pour ne pas être évoquée dans la plupart des guides touristiques, j'en parle tout de même car elle a eu des effets sur moi, même si moins sur mes compagnes de voyage. Je pense que mes pertes d'équilibre régulières étaient dus au fait que l'oxygène se fait plus rare en altitude. On sent également que la respiration se fait plus profonde, comme si on allait chercher très loin l'air à respirer car il contient moins d'oxygène que d'ordinaire. Je suppose que ça contribue à fatiguer l'organisme aussi. Il se peut que ce genre de petits troubles n'affecte pas tout le monde, mais il vaut mieux le savoir.

Et alors, avec toutes ces contraintes, pourquoi diable faudrait-il se lancer dans pareille aventure ?
Parce que le jeu en vaut la chandelle. Très honnêtement, une personne bien constituée, en bonne santé, ayant prévu de quoi surmonter le froid et en se ménageant des pauses régulières, n'aura pas de problème majeur pour arriver jusqu'au sommet du mont Fuji. La récompense, le fameux lever de soleil, est un spectacle qui, je pense, justifie l'effort et le mal qu'on s'est donné pendant cinq à six heures auparavant.

Pour ce qui est de la descente, elle réduit à néant le peu de forces qui restait dans les genoux. Il faudra compter environ 3 à 4 heures en descendant sans courir. Le sol friable rend parfois le trajet pénible, mais globalement c'est la répétition des zig-zags sacrément inclinés qui risque plutôt de lasser le marcheur fatigué, qui pourrait avoir l'impression de ne pas en voir le bout. Mes compagnes de voyage ont été littéralement achevées par la descente, alors que j'étais plutôt ravie de découvrir les paysages du volcan et en contre-bas (puisqu'en montée, on n'avait absolument rien vu dans l'obscurité). Je prenais des photos tranquillement, et on faisait des pauses régulièrement. Ca m'a paru un chouïa longuet, mais la température redevenant acceptable assez rapidement, il fallait juste prendre son mal en patience et regarder un peu autour de soi.
Bref, chacun son ressenti mais je pense honnêtement que ce n'est pas la descente la partie la plus insurmontable.



Quant aux heures de sommeil perdues, on les rattrape dans le bus au retour, et en rentrant chez soi faire une longue sieste. A moins que, comme moi, vous enchaîniez sur une journée non-stop "déjeuner avec les copines/karaoke le soir" et vous endormiez comme un bébé le soir venu. Et le lendemain matin, presque pas de courbatures !

Dans tous les cas, malgré toutes les hésitations et les difficultés à anticiper, avec une bonne préparation, je vous recommande chaudement d'aller faire un tour sur le plus haut volcan du Japon.

vendredi 18 novembre 2011

Juillet 2011 : Mont Fuji

Nous sommes fin juillet, et ma dernière semaine au Japon passe à une vitesse folle. 
Je passe les trois premiers jours à faire visiter à mon copain les endroits de Tokyo qu'il ne connaissait pas, et je pense qu'il a apprécié tout ce qu'il y a vu. Nous avons passé de chouettes moments entre Asakusa, Odaiba et les jardins du palais impérial. On est même allés jusqu'à Kamakura pour aller rendre visite au Grand Bouddha. Le chéri est reparti dans le Kansai le mercredi soir en disant qu'il aimait bien cette ville, finalement. Mission accomplie.
Après ces trois jours passés à l'hôtel avec mon copain, j'élis domicile dans une guesthouse fraîchement retapée dans une maison résidentielle, pour seulement trois jours. La demeure est pour l'instant presque vide et si calme qu'elle tranche avec la guesthouse d'avant. Il s'agit de la même agence, d'ailleurs, et c'est parce qu'il n'y avait pas de disponibilité dans mon ancienne guesthouse que j'atterris là.
J'ai pourtant à peine le temps de profiter de ma nouvelle chambre ; le jeudi, après une après-midi tranquille à profiter de mes quartiers préférés, je rejoins Shinjuku en début de soirée pour retrouver trois de mes compagnes de chambre de l'ancienne guesthouse (une Japonaise, une Chinoise et une Australienne). Nous prenons en effet le dernier bus en partance pour la station 5 du Mont Fuji....et commencerons son ascension dans la nuit !
Nous manquons de laisser derrière nous Tomomi, la Japonaise, car elle est en retard à cause d'un problème de train, mais nous avons supplié les chauffeurs de l'attendre et sommes partis dès son arrivée avec cinq minutes de retard.
Le bus sillonne silencieusement la Chuo-dori qui s'éloigne vers l'ouest de Tokyo, puis s'enfonce dans la région montagneuse de Yamanashi-ken. Nous arrivons sur le flanc du Mont Fuji, dont les étapes sont indiquées régulièrement par des panneaux indiquant également l'altitude. Ca fait bizarre de se dire que cette route goudronnée et impeccable est installée sur l'illustre volcan...!
Au bout d'environ trente minutes nous voilà à notre terminus, la station 5. Elle est déjà située à 2300 m d'altitude, et lors d'une ascension du mont Fuji, il faut atteindre la dixième station qui est tout bonnement au sommet du volcan, à environ 3500 m d'altitude (le "vrai" sommet culminant lui à 3 776 m). De longues heures de marche en perspective ! Un petit tour aux toilettes de la seule boutique ouverte s'impose. Ils y vendent des souvenirs et un peu de matériel hors de prix, notamment ces bonbonnes d'oxygène avec comme super argument de vente "Heureusement que je l'ai achetée !". Sauf que j'avais lu sur des blogs d'expats que ce n'était vraiment pas nécessaire car l'oxygène ne manque pas au point de faire vaciller quelqu'un en bonne santé. De toute façon, rien que le prix dissuade d'acheter ce truc...
Il y a aussi ces bâtons de marche munis d'un grelot, que beaucoup de marcheurs japonais comme étrangers se procurent car on peut y faire graver chaque étape d'ascension à chaque station par laquelle on passe lorsqu'on grimpe, moyennant quelques sous, et rapporter le bâton comme trophée à la maison pour montrer qu'on a bien réussi l'ascension du volcan. Vu la taille de ma valise et son poids, il ne serait jamais rentré dedans, alors je n'y ai même pas songé...

Revenues dehors, nous nous préparons : il fait 20°C environ à cette altitude, mais les températures avoisinent les moins de 5°C au sommet, aussi faut-il prévoir le plus d'épaisseurs possibles. Nous avons rassemblé ce que nous avions de plus chaud, et de plus confortable pour une marche en montagne. Au moins, nous avons toutes de bonnes chaussures. Deux d'entre nous portent une lampe frontale, et guideront le petit groupe (je n'en avais pas trouvé à bas prix...). Lorsque nous sommes prêtes, nous traversons la petite place déserte de la station, visiblement entourée de bâtiments - mais nous ne voyons pas grand chose car rien n'est éclairé -  et rejoignons un sentier qui marque le début de l'ascension. C'est parti !



La première partie de l'ascension est une partie de rigolade : le chemin monte à peine, traverse une petite forêt, puis continue en ligne presque continue sur le flanc du volcan. A notre gauche scintillent en contrebas les lumières des villes de Kawaguchikô et Fuji-Yoshida. Un peu plus loin, un orage silencieux formé de puissants éclairs illumine des nuages menaçants agglutinés au sommet d'une colline. Très impressionnant.
Il nous faut à peine une demi-heure pour atteindre la station 6. Nous sommes largement dans les temps. En revanche, c'est par la suite que commencent les choses sérieuses : ça grimpe sec. Le chemin un peu rocailleux reste facile à grimper, mais la pente sévère me fait mal aux genoux dès le début (mais c'était le risque, j'ai les genoux faiblards...). Nous décidons peu de temps après de faire notre pause-dîner tout de suite pour gagner des forces. Tandis que nous engloutissons nos sandwiches et  barres énergétiques, l'orage se déplace dans la vallée et le spectacle est autant grandiose qu'apocalyptique. Il fait nuit noire et les éclairs en sont d'autant plus sensationnels. Nous repartons.


La station 7 se profile très vite. Nous l'avons atteinte en moins d'une heure. C'est trop rapide selon Yue, mon amie chinoise. Nous tentons de ralentir le pas, d'autant que nous attend un obstacle de taille : le chemin zigzaguant gentiment à flanc de volcan est remplacé par un sentier de roche plus étroit et envahi par d'anciens amas de lave, devenue roche au fil des siècles. Ces mastodontes rocheux  prennent toute la place et doivent souvent s'escalader à l'aide des mains. Pour couronner le tout, la distance entre la station 7 et la 8 est considérable, et la pente de plus en plus difficile à gérer. Je ressens les effets de l'altitude et de la baisse d'oxygène : je perds tout simplement l'équilibre. Sans ma propre lumière, je ne vois déjà pas très bien où je mets les pieds, mais en plus je vacille à chaque enjambée, devant parfois me plier littéralement en deux sur la pierre pour éviter la sensation. Je finis même par m'égratigner le haut du mollet sur un rocher. Bon, il se peut que je monte trop vite aussi. Yue et Tomomi ont moins ce problème car elles sont équipées de bâtons de randonnée., ce qui les aide à maintenir à peu près leur équilibre Quant à Ella, l'autralienne, elle a un peu mal à la tête. Devenant un peu plus chaotique, l'ascension prend du temps. Nous nous retenons souvent au fil et aux piquets qui marquent le couloir par lequel il faut escalader. Les pauses se font régulières.


La station 8 apparaît enfin après 2h20 de marche. C'est une grande étape, mais il reste beaucoup d'efforts à faire pour atteindre le sommet. A cela s'ajoute un nouveau problème : la température a considérablement baissé, et il fait vraiment froid. La pause à la station 8 devient une torture ; j'enfile des épaisseurs supplémentaires, mais avec de simples vêtements d'été ça ne suffit pas. J'envie les nombreux groupes de Japonais suréquipés dont les coupe-vent spéciaux semblent les protéger efficacement du froid. Vu mon départ imminent, je n'avais bien sûr pas investi dans un équipement pareil...



Il nous faut environ une heure pour atteindre la station 8.5 (après avoir traversé de multiples stations intermédiaires où des refuges proposent des repas et des lieux de repos). Le froid devient l'ennemi majeur, et le manque de sommeil son allié. Les pauses sont nécessaires pour nos jambes endolories, mais elles nous exposent bien plus au vent glacial qui souffle sur la montagne. Le sentier se fait plus étroit, et le passage du nombre croissant de marcheurs plus lent ; nous patientons en tentant de nous protéger du froid. En fait, c'est réellement la température qui rend l'ascension éprouvante la nuit ; j'en suis venue à me dire que j'aurais aimé faire demi-tour et rentrer au chaud à Tokyo plutôt que de devoir encore affronter ce vent contre lequel il est impossible de lutter. Et j'étais pourtant la plus motivée des quatre pour cette ascension à la base, c'est dire !
Sans renoncer cependant, nous atteignons la station 9, et moins d'une heure nous sépare théoriquement du sommet. Mais le chemin est étroit au possible, et de véritables agents de la circulation gèrent le passage des marcheurs, qui commencent à se presser car le lever du soleil est imminent. On nous informe que l'événement se produit dans moins d'une demi-heure, mais il nous semble être si loin du sommet ! L'agacement vient s'ajouter au froid et à la fatigue dans la liste des doléances. 
Nous usons de nos dernières forces pour doubler de plus en plus de gens et, à 4h25, le miracle se produit : nous franchissons le torii qui marque l'entrée du sommet du Mont Fuji. Enfin, ça y est !! Nous sommes à environ 3500 mètres d'altitude (car pas sur le sommet "réel", un peu plus loin), nous sommes exténuées, frigorifiées, nos jambes nous font souffrir le martyr, mais nous rions bêtement, bras dessus bras dessous, car nous l'avons fait jusqu'au bout. La fierté qui résulte d'une telle ascension dépasse tous les efforts que nous avons dû fournir. J'en aurais presque les larmes aux yeux.

Il est à peine 5h du matin, et le soleil va se lever. 
D'habitude, on voit sur internet des photos de lever de soleil sur une mer de nuages, vision féérique du plus haut sommet japonais. Nous n'aurons pas ce privilège, mais un autre en compensation : le soleil se lèvera caché aux yeux de tous, derrière un rempart de nuages sombres, au loin, mais à nos pieds aucune mer de nuages ne vient cacher la vallée et les lacs parfaitement visibles. Et le spectacle de ce paysage qui change de couleur à la lueur de l'aube a autant de valeur et se passe de commentaire.










Le froid persistant nous incite à aller nous réfugier dans une salle commune chauffée où l'on peut commander un repas. Le prix faramineux de simples ramen m'incite à ne rien prendre mais Yue insiste pour partager avec moi quelques nouilles et du bouillon bien chaud. Cette petite demi-heure de pause dans un endroit rudimentaire mais à l'abri du vent fait un bien fou. Il est si difficile d'en sortir ! 
Nous allons jeter un oeil au cratère du volcan. Un reste de glacier s'accroche à une paroi, mais en cette saison la neige a totalement disparu du sommet. On peut faire le tour du cratère sur un sentier aménagé, mais les forces me manquent et je me contente de l'admirer de là où je suis.






Le temps passe vite, et cela fait déjà plus d'une heure et demi que nous sommes au sommet du Mont Fuji. Peut-être aurions-nous pu rester en profiter plus de temps si nous n'avions pas fait une ascension si éprouvante et s'il ne faisait pas si froid à 3 600 m d'altitude...nous songeons à amorcer notre descente, car plus personne n'a le courage d'affronter le vent plus longtemps. A 5h50, nous nous mettons en route.
La route pour descendre le mont Fuji est différente de celle pour le monter. La pente est si raide qu'il faut s'obliger à marcher lentement, car les genoux en prennent pour leur grade. La cendre volcanique glisse un peu et il faut regarder où on met les pieds. On zigzague sans discontinuer pendant de longues heures, mais on a accès à un paysage tout nouveau puisqu'on n'a pour ainsi dire rien vu du Mont Fuji pendant la nuit. La couleur des roches et de la cendre qui composent le volcan, ce mélange de pierres rougeâtre et grises, fascine ; la végétation qui apparaît tout à coup sur ses flancs aussi.





A 8h, le soleil fait sa première apparition de la journée, et il commence à faire plus chaud à mesure que nous descendons. Mes compagnes sont exténuées, en particulier Yue et Tomomi qui font des pauses régulièrement. Les derniers kilomètres jusqu'à la station de départ sont les plus longs, car le chemin de terre n'en finit pas de longer le flanc du Fuji. On croise des hommes proposant une balade à cheval jusqu'à la station moyennant un prix exhorbitant.








Et après avoir retrouvé un chemin familier, pour l'avoir emprunté la veille au soir dans la nuit dans le sens inverse, nous atteignons la station 5, point final de notre escapade sur le Mont Fuji, après un peu plus de 4h de descente. Je m'achète une glace au raisin (couleur locale) pour me remettre de mes émotions et vais rejoindre mes compagnes assises à même le sol en attendant le premier bus de la journée qui part vers 10h. Les marcheurs sont de plus en plus nombreux à arriver du sommet, et tout le monde semble lessivé mais heureux. Ici il fait bon, on retrouve avec bonheur les 25°C du début, on se déleste de quelques vêtements.



Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, nous sommes dans le bus en direction de Shinjuku. Je m'endors immédiatement, comme à peu près tout le monde, mais me réveille juste à temps pour faire un dernier cliché de ce géant sacré qui se dresse fièrement au loin, dépourvu de neige mais magnifique, en me disant que non, je n'ai pas rêvé, je suis bien parvenue jusqu'au sommet, tout là-haut dans les nuages.


jeudi 10 novembre 2011

Juillet 2011 : Kyoto



En milieu de matinée de ce dimanche 24 octobre, il me faut dire au revoir à la famille de mon copain, car je ne les reverrai pas avant un petit bout de temps. Comme prévu, le chéri et moi partons en effet le soir-même en bus de nuit pour Tokyo, qu'il n'a visité qu'une fois dans sa vie. 

Mais avant toute chose, les parents nous accompagnent gentiment en voiture jusqu'à la grande gare la plus proche (c'est surtout parce que je me trimballe une énorme valise bien remplie qu'ils ont eu cette idée...merci beaucoup ><"). Nous nous disons au revoir simplement, prenons une dernière petite photo, et nous voilà, mon copain et moi, à bord du train express qui file en bord de mer. Arrivé dans le grouillant centre de Kobe, mon copain s'en va passer son fameux examen du TOEIC ; il prendra le bus ce soir à 20h, et je prendrai ce même bus 3h après lui, à Kyoto. Original, comme rendez-vous, mais on n'avait pas le choix, et ça s'est bien ficelé ^^.


Une heure plus tard, je descends à la gare de Kyoto, traînant mon engin sur roulettes jusqu'à une consigne où je m'en déleste aussitôt, soulagée. C'est que, comme toujours, il fait une chaleur épouvantable, et trimballer ce truc requiert de l'énergie. 
Désormais armée uniquement de mon sac à appareil photo, je cours aux renseignements touristiques ; je sais en effet qu'ont lieu aujourd'hui des festivités du Gion Matsuri, un gigantesque festival étalé sur quinze jours, l'un des temps forts de Kyoto. J'avais lu qu'une procession de jeunes filles en costumes anciens, appelée "Hanagasa Matsuri", commençait à 10h, et un blogueur avait même affirmé quelque part sur internet que le "retour" de cette longue parade ne se faisait qu'en une deuxième partie, plus tard dans l'après-midi. Il est midi quand j'arrive dans le centre d'information touristique, mais je ne perds pas espoir de voir la procession. Hélas, on m'apprend qu'elle est en train de s'achever au moment même où je pose la question. Pire, elle n'a lieu qu'en une seule fois, le matin. Je l'ai donc officiellement ratée.
Déçue, je vais me chercher un ticket de bus en face de la gare, et monte dans le premier bus qui passe du côté du Yasaka Jinja, le sanctuaire d'où débute et où se termine la fameuse parade. Après presque vingt minutes de trajet, je me rends à l'évidence : l'avenue Shijo qui part du sanctuaire est vide de tout défilé, les voitures ont repris leurs droits et les spectateurs se confondent probablement maintenant avec les passants. 
Je pénètre cependant dans l'enceinte du sanctuaire, d'où sortent de jeunes filles en yukata ou en kimono léger. Et je fais bien de m'aventurer là !




Sur une scène en bois construite il y a fort longtemps au milieu de la cour du Yasaka Jinja, un spectacle de tambours attire de nombreux touristes. Je tente de me placer à un bon angle pour bien voir et prendre des photos, mais ce n'est pas chose facile. Après les tambours viennent la danse de deux dragons, orchestrée par quatre jeunes filles figurant les deux animaux légendaires. Puis des musiciens s'installent, et certains d'entre eux exécutent une sorte de danse tout en frappant de petits tambours qu'ils manipulent avec beaucoup d'agilité.
Lorsqu'ils se retirent, c'est au tour d'un nouveau dragon plus acrobate et plus impressionnant d'entrer en scène.







J'abandonne au bout d'un moment mon poste pour me promener autour de la scène, croyant que ce petit spectacle va s'achever bientôt. J'étouffe un cri de joie lorsque je vois soudain devant moi deux maiko, des vraies, en chair et en os, habillées de simples kimonos d'été, mais trahies par leurs ombrelles et leur coiffure sophistiquée. Mes premières maiko. Emotion. 
Je les admire de loin, prends quelques photos pour immortaliser ces semi-divinités (du moins dans mon panthéon personnel). Deux autres jeunes filles tout aussi reconnaissables se pressent de les rejoindre, et elles s'éloignent pour une raison mystérieuse vers l'une des sorties, parmi la foule de spectateurs assis sur les marches qui ne manquent pas de les regarder passer. Je suis aux anges, j'ai vu des vraies maiko à Kyoto, même l'espace d'un instant, la vie est belle !



Des hommes armés d'appareils deux fois plus perfectionnés que le mien se précipitent tout à coup autour d'un "couloir" par lequel transitent les artistes du spectacle. Je m'approche à mon tour et découvre six jeunes filles au visage peint en blanc et les lèvres en rouge, coiffées d'un chapeau conique noir, et vêtues de costumes rappelant un peu ceux des miko dans les sanctuaires, qui attendent leur tour pour monter sur scène.



Là, je comprends : ce n'est pas un spectacle "annexe" au Gion Matsuri comme je le croyais au départ, c'en est la continuité ! Je suis sur le point de voir une partie des participantes à la procession du matin que j'ai manquée, quelle chance !
Les six danseuses prennent place, et exécutent, au son d'une vieille chanson traditionnelle et d'un shamisen enregistrés, des mouvements lents et gracieux avec leurs éventails. Les larges manches de leur costume, cette harmonie dans la danse, et ce bel air serein renforcé par le maquillage pâle les rendent juste sublimes. La danse finit trop vite à mon goût, et les voilà qui s'éclipsent silencieusement.






Elles sont remplacées par des maiko vêtues de kimono uniformes, tenant un petit "instrument" ressemblant à un miroir, sur lequel elles tapent légèrement à intervalles réguliers. J'ignore si cela produit un quelconque son, car le son de l'enregistrement était plus fort.
Très photogéniques et le regard sublimé par le maquillage, elles évoluent comme les précédentes dans une danse lente qui se pratique depuis des siècles lors du Gion Matsuri. Beaucoup plus formelle que la précédente, elle me donne l'impression d'être bien ancrée dans la tradition des geisha, car il me semble retrouver dans certains mouvements des maiko des gestes "typiques" que j'ai déjà eu l'occasion de voir.






A ces maiko succèdent des petites filles habillées et maquillées de blanc, coiffées d'une tête de grue  japonaise et pourvues d. Elles entament une jolie "danse de la Grue", apparemment exécutée traditionnellement par des enfants chaque année pour ce festival. Là aussi, la tradition semble remonter à des temps très éloignés. La concentration se lit clairement sur les petits visages rendus tout pâles là encore par le maquillage.





Pour clôturer ce spectacle, de très jeunes apprenties maiko se présentent en un groupe assez nombreux, vêtues du même kimono rose saumon ceint d'un obi turquoise orné de fines dorures. Elles ont le visage maquillé comme leurs aînées, et leurs cheveux sont ramassés en une queue de cheval cachées par une bande de tissu pourpre. Les plus petites doivent avoir 6 ou 7 ans, et elles ressemblent toutes à d'adorables poupées. Elles exécutent une danse dans la lignée de celle interprété plus tôt par les maiko, tout dans la lenteur et la grâce des mouvements. Armées d'un éventail, elles tournoient, s'alignent, semblent former une fervente procession en serrant le précieux objet devant elles, puis se séparent, s'alignent de nouveau, tendent et retendent leur éventail, maître de la danse. Leur visage paraît impassible, mais après la danse et les applaudissements, on apprendra de la dame qui les entraîne que certaines ont exécuté cette danse pour la première fois de toute leur vie en public. Il devait y avoir du stress dans l'air ! 







Le spectacle est fini, je quitte la cour après avoir regardé avec émerveillement les petites descendre de la scène. 
J'ai l'impression d'avoir vu pour la première fois quelque chose de très extraordinaire, et de très japonais.


Je passe sur le côté du sanctuaire et découvre en chemin des chars qui ont sans doute servi à la procession du matin. Je remonte une allée qui m'est familière, car je l'avais descendue en novembre à la saison des érables. L'atmosphère est bien différente dans le Maruyama-kôen. A l'automne, les cerisiers qui en décorent les parterres étaient inertes, les branches dépouillées. A présent, en plein été, ils déploient au vent des feuilles bien vertes ; il ne me reste plus qu'à voir la version "rose bonbon" lorsque ces arbres sont en floraison, et la boucle sera bouclée !








Je sors du Yasaka Jinja et me retrouve alors à errer sans savoir trop quoi faire. Je sais qu'il y aura un matsuri plus tard dans l'après-midi, avec la procession de trois omikoshi portés à bout de bras par des centaines d'hommes en tenue de fête. Mais c'est loin de commencer, et je n'ai pas vraiment de projet à proprement parler. Comme je dois rester dans le coin (le matsuri commençant sur l'avenue Shijo), je me promène d'abord dans le quartier de Gion et me perds dans les ruelles bordées de machiya. J'aperçois une maiko se pressant vers l'une d'elle, mais elle s'éclipse aussi soudainement qu'elle est apparue. J'erre littéralement du côté d'un ensemble de temples bouddhiques et m'assois sur une bordure dans un endroit où il y a peu de passage, pour une petite pause casse-croûte en face d'un temple, au calme, à Kyoto.




Comme je me sens un peu misérable dans mon coin, je me dépêche de me promener ailleurs, mais finit par tourner en rond. Il fait chaud, et je n'ai plus vraiment la volonté de bouger ; je n'ai même plus le temps de prendre le bus pour aller ailleurs car le festival commencerait à coup sûr pendant mon absence. Je vais m'assoir au bord de la Kamogawa, un de mes endroits favoris, au pied des terrasses sur pilotis installées pour l'été à chaque restaurant sur la rive. Un jour, je mangerai ici à la nuit tombée. Pour l'instant, je regarde les gens passer.




Lorsque je me décide à revenir sur l'avenue Shijo, je décide de passer à une petite boutique dans laquelle j'étais déjà allée à l'automne. Une amie japonaise et moi avions discuté avec le très sympathique propriétaire de notre excursion à Arashiyama, et de bien d'autres choses encore. J'ai la chance que cette fois-ci aussi, ce soit lui à la caisse. Je commence à lui parler, et il s'avère que malheureusement il ne se souvient pas de moi, et en paraît très embêté. Après une petite discussion sympa comme tout et un petit achat pour la forme, il me promet qu'il essaiera de se souvenir de moi et me demande mon nom pour le mémoriser. Je lui demande le sien, et je sais que j'irai voir ce M.Ishimura lors de mon prochain séjour dans le Kansai ^^...


De nouveau sur l'avenue, je vois que les préparatifs du matsuri ont commencé. Les spectateurs s'attroupant déjà, j'essaye de me trouver une bonne place. Bientôt les hommes vêtus de happi blancs aux inscriptions qui diffèrent selon leur "clan" se rassemblent, et un premier omikoshi se construit. Car il faut d'abord assembler le sanctuaire portatifs et les longues poutres qui serviront aux hommes à le porter, et le tout dans un rituel précis. Le char de la divinité se fait bénir dans un petit sanctuaire provisoire installé un peu plus loin. Les hommes s'assoient et semblent prier. Ils répètent le geste plusieurs fois, se relèvent, semblent s'échauffer, s'organisent, commencent à porter l'omikoshi en lui faisant faire des allers-retours successifs, et en le faisant tournoyer à chaque fois dans l'autre sensdans une lente puis frénétique marche dans laquelle ils se relaient déjà. Ils accompagnent bien entendu l'effort du fameux "wasshoi wasshoi" et d'autres cris que je ne connais pas. Peut-être pour prouver leur bravoure et leur force dans cette épreuve annuelle, ils s'immobilisent et font basculer violemment le char d'avant en arrière en amortissant chaque mouvement avec les épaules. Je n'ose déjà pas imaginer l'état de leur corps à la fin de la journée s'il commencent comme ça...!
 














Enfin, après d'interminables va-et-vient, le signal est donné et ils prennent la route de la procession. Les trois omikoshi partiront ainsi les uns après les autres à environ 45 mn d'intervalle. Lors de cette impressionnante épreuve de force, je rencontre une Française de Tokyo qui fait visiter le Japon à ses parents, et il s'avère qu'ils sont de ma ville et que ladite Française a étudié le japonais au même endroit que moi, avec la même prof. Que le monde est petit !!
Nous nous quittons lorsque je décide de suivre un tout petit bout de la procession. Le dernier omikoshi est engagé dans une ancienne arcade commerciale (encore !!) et je me fraye un chemin parmi la foule qui le suit. Je me retrouve derrière des hommes habillés dans des costumes qui me rappellent ceux des grands seigneurs de l'époque féodal, et...d'un homme à cheval ! Je m'approche un peu plus et me retrouve à marcher dans une galerie marchande à côté d'un pur-sang bai portant sur son dos l'incarnation d'un illustre personnage, peut-être un shogun ou un ancien empereur. Ce qui est sûr, c'est que le cheval, lui, grand, très fin et aux traits nerveux d'un cheval de course, ne fait pas du tout couleur locale. C'est drôle.
Les hommes et l'omikoshi s'éloignent dans une ruelle, et le cortège s'y engouffre. Je m'arrête là.






Il me faut reprendre un bus pour la gare, car je dois récupérer ma valise avant 20h00, heure de fermeture de la consigne. Eh oui, il est déjà tard, le temps que j'arrive à la gare et la nuit tombe. Coincée avec mon énorme bagage aux alentours de la gare, lessivée, assommée par l'humidité perfide, je vais tant bien que mal m'acheter à manger et m'installe près de la gare routière. Je n'en déloge pratiquement plus jusqu'à l'arrivée du bus de nuit. C'est long, trois heures...
A l'intérieur du spacieux bus qui m'emmène à Tokyo, je retrouve mon copain, qui m'avait prévenu qu'il avait embarqué sans problème quelques heures auparavant. Et nous voilà tous les deux à tenter de dormir un peu d'ici notre arrivée dans la capitale le lendemain matin, chacun fatigué de sa propre journée. Je quitte définitivement le Kansai pour cette fois !


Prochain épisode : Le Mont Fuji.