jeudi 10 novembre 2011

Juillet 2011 : Kyoto



En milieu de matinée de ce dimanche 24 octobre, il me faut dire au revoir à la famille de mon copain, car je ne les reverrai pas avant un petit bout de temps. Comme prévu, le chéri et moi partons en effet le soir-même en bus de nuit pour Tokyo, qu'il n'a visité qu'une fois dans sa vie. 

Mais avant toute chose, les parents nous accompagnent gentiment en voiture jusqu'à la grande gare la plus proche (c'est surtout parce que je me trimballe une énorme valise bien remplie qu'ils ont eu cette idée...merci beaucoup ><"). Nous nous disons au revoir simplement, prenons une dernière petite photo, et nous voilà, mon copain et moi, à bord du train express qui file en bord de mer. Arrivé dans le grouillant centre de Kobe, mon copain s'en va passer son fameux examen du TOEIC ; il prendra le bus ce soir à 20h, et je prendrai ce même bus 3h après lui, à Kyoto. Original, comme rendez-vous, mais on n'avait pas le choix, et ça s'est bien ficelé ^^.


Une heure plus tard, je descends à la gare de Kyoto, traînant mon engin sur roulettes jusqu'à une consigne où je m'en déleste aussitôt, soulagée. C'est que, comme toujours, il fait une chaleur épouvantable, et trimballer ce truc requiert de l'énergie. 
Désormais armée uniquement de mon sac à appareil photo, je cours aux renseignements touristiques ; je sais en effet qu'ont lieu aujourd'hui des festivités du Gion Matsuri, un gigantesque festival étalé sur quinze jours, l'un des temps forts de Kyoto. J'avais lu qu'une procession de jeunes filles en costumes anciens, appelée "Hanagasa Matsuri", commençait à 10h, et un blogueur avait même affirmé quelque part sur internet que le "retour" de cette longue parade ne se faisait qu'en une deuxième partie, plus tard dans l'après-midi. Il est midi quand j'arrive dans le centre d'information touristique, mais je ne perds pas espoir de voir la procession. Hélas, on m'apprend qu'elle est en train de s'achever au moment même où je pose la question. Pire, elle n'a lieu qu'en une seule fois, le matin. Je l'ai donc officiellement ratée.
Déçue, je vais me chercher un ticket de bus en face de la gare, et monte dans le premier bus qui passe du côté du Yasaka Jinja, le sanctuaire d'où débute et où se termine la fameuse parade. Après presque vingt minutes de trajet, je me rends à l'évidence : l'avenue Shijo qui part du sanctuaire est vide de tout défilé, les voitures ont repris leurs droits et les spectateurs se confondent probablement maintenant avec les passants. 
Je pénètre cependant dans l'enceinte du sanctuaire, d'où sortent de jeunes filles en yukata ou en kimono léger. Et je fais bien de m'aventurer là !




Sur une scène en bois construite il y a fort longtemps au milieu de la cour du Yasaka Jinja, un spectacle de tambours attire de nombreux touristes. Je tente de me placer à un bon angle pour bien voir et prendre des photos, mais ce n'est pas chose facile. Après les tambours viennent la danse de deux dragons, orchestrée par quatre jeunes filles figurant les deux animaux légendaires. Puis des musiciens s'installent, et certains d'entre eux exécutent une sorte de danse tout en frappant de petits tambours qu'ils manipulent avec beaucoup d'agilité.
Lorsqu'ils se retirent, c'est au tour d'un nouveau dragon plus acrobate et plus impressionnant d'entrer en scène.







J'abandonne au bout d'un moment mon poste pour me promener autour de la scène, croyant que ce petit spectacle va s'achever bientôt. J'étouffe un cri de joie lorsque je vois soudain devant moi deux maiko, des vraies, en chair et en os, habillées de simples kimonos d'été, mais trahies par leurs ombrelles et leur coiffure sophistiquée. Mes premières maiko. Emotion. 
Je les admire de loin, prends quelques photos pour immortaliser ces semi-divinités (du moins dans mon panthéon personnel). Deux autres jeunes filles tout aussi reconnaissables se pressent de les rejoindre, et elles s'éloignent pour une raison mystérieuse vers l'une des sorties, parmi la foule de spectateurs assis sur les marches qui ne manquent pas de les regarder passer. Je suis aux anges, j'ai vu des vraies maiko à Kyoto, même l'espace d'un instant, la vie est belle !



Des hommes armés d'appareils deux fois plus perfectionnés que le mien se précipitent tout à coup autour d'un "couloir" par lequel transitent les artistes du spectacle. Je m'approche à mon tour et découvre six jeunes filles au visage peint en blanc et les lèvres en rouge, coiffées d'un chapeau conique noir, et vêtues de costumes rappelant un peu ceux des miko dans les sanctuaires, qui attendent leur tour pour monter sur scène.



Là, je comprends : ce n'est pas un spectacle "annexe" au Gion Matsuri comme je le croyais au départ, c'en est la continuité ! Je suis sur le point de voir une partie des participantes à la procession du matin que j'ai manquée, quelle chance !
Les six danseuses prennent place, et exécutent, au son d'une vieille chanson traditionnelle et d'un shamisen enregistrés, des mouvements lents et gracieux avec leurs éventails. Les larges manches de leur costume, cette harmonie dans la danse, et ce bel air serein renforcé par le maquillage pâle les rendent juste sublimes. La danse finit trop vite à mon goût, et les voilà qui s'éclipsent silencieusement.






Elles sont remplacées par des maiko vêtues de kimono uniformes, tenant un petit "instrument" ressemblant à un miroir, sur lequel elles tapent légèrement à intervalles réguliers. J'ignore si cela produit un quelconque son, car le son de l'enregistrement était plus fort.
Très photogéniques et le regard sublimé par le maquillage, elles évoluent comme les précédentes dans une danse lente qui se pratique depuis des siècles lors du Gion Matsuri. Beaucoup plus formelle que la précédente, elle me donne l'impression d'être bien ancrée dans la tradition des geisha, car il me semble retrouver dans certains mouvements des maiko des gestes "typiques" que j'ai déjà eu l'occasion de voir.






A ces maiko succèdent des petites filles habillées et maquillées de blanc, coiffées d'une tête de grue  japonaise et pourvues d. Elles entament une jolie "danse de la Grue", apparemment exécutée traditionnellement par des enfants chaque année pour ce festival. Là aussi, la tradition semble remonter à des temps très éloignés. La concentration se lit clairement sur les petits visages rendus tout pâles là encore par le maquillage.





Pour clôturer ce spectacle, de très jeunes apprenties maiko se présentent en un groupe assez nombreux, vêtues du même kimono rose saumon ceint d'un obi turquoise orné de fines dorures. Elles ont le visage maquillé comme leurs aînées, et leurs cheveux sont ramassés en une queue de cheval cachées par une bande de tissu pourpre. Les plus petites doivent avoir 6 ou 7 ans, et elles ressemblent toutes à d'adorables poupées. Elles exécutent une danse dans la lignée de celle interprété plus tôt par les maiko, tout dans la lenteur et la grâce des mouvements. Armées d'un éventail, elles tournoient, s'alignent, semblent former une fervente procession en serrant le précieux objet devant elles, puis se séparent, s'alignent de nouveau, tendent et retendent leur éventail, maître de la danse. Leur visage paraît impassible, mais après la danse et les applaudissements, on apprendra de la dame qui les entraîne que certaines ont exécuté cette danse pour la première fois de toute leur vie en public. Il devait y avoir du stress dans l'air ! 







Le spectacle est fini, je quitte la cour après avoir regardé avec émerveillement les petites descendre de la scène. 
J'ai l'impression d'avoir vu pour la première fois quelque chose de très extraordinaire, et de très japonais.


Je passe sur le côté du sanctuaire et découvre en chemin des chars qui ont sans doute servi à la procession du matin. Je remonte une allée qui m'est familière, car je l'avais descendue en novembre à la saison des érables. L'atmosphère est bien différente dans le Maruyama-kôen. A l'automne, les cerisiers qui en décorent les parterres étaient inertes, les branches dépouillées. A présent, en plein été, ils déploient au vent des feuilles bien vertes ; il ne me reste plus qu'à voir la version "rose bonbon" lorsque ces arbres sont en floraison, et la boucle sera bouclée !








Je sors du Yasaka Jinja et me retrouve alors à errer sans savoir trop quoi faire. Je sais qu'il y aura un matsuri plus tard dans l'après-midi, avec la procession de trois omikoshi portés à bout de bras par des centaines d'hommes en tenue de fête. Mais c'est loin de commencer, et je n'ai pas vraiment de projet à proprement parler. Comme je dois rester dans le coin (le matsuri commençant sur l'avenue Shijo), je me promène d'abord dans le quartier de Gion et me perds dans les ruelles bordées de machiya. J'aperçois une maiko se pressant vers l'une d'elle, mais elle s'éclipse aussi soudainement qu'elle est apparue. J'erre littéralement du côté d'un ensemble de temples bouddhiques et m'assois sur une bordure dans un endroit où il y a peu de passage, pour une petite pause casse-croûte en face d'un temple, au calme, à Kyoto.




Comme je me sens un peu misérable dans mon coin, je me dépêche de me promener ailleurs, mais finit par tourner en rond. Il fait chaud, et je n'ai plus vraiment la volonté de bouger ; je n'ai même plus le temps de prendre le bus pour aller ailleurs car le festival commencerait à coup sûr pendant mon absence. Je vais m'assoir au bord de la Kamogawa, un de mes endroits favoris, au pied des terrasses sur pilotis installées pour l'été à chaque restaurant sur la rive. Un jour, je mangerai ici à la nuit tombée. Pour l'instant, je regarde les gens passer.




Lorsque je me décide à revenir sur l'avenue Shijo, je décide de passer à une petite boutique dans laquelle j'étais déjà allée à l'automne. Une amie japonaise et moi avions discuté avec le très sympathique propriétaire de notre excursion à Arashiyama, et de bien d'autres choses encore. J'ai la chance que cette fois-ci aussi, ce soit lui à la caisse. Je commence à lui parler, et il s'avère que malheureusement il ne se souvient pas de moi, et en paraît très embêté. Après une petite discussion sympa comme tout et un petit achat pour la forme, il me promet qu'il essaiera de se souvenir de moi et me demande mon nom pour le mémoriser. Je lui demande le sien, et je sais que j'irai voir ce M.Ishimura lors de mon prochain séjour dans le Kansai ^^...


De nouveau sur l'avenue, je vois que les préparatifs du matsuri ont commencé. Les spectateurs s'attroupant déjà, j'essaye de me trouver une bonne place. Bientôt les hommes vêtus de happi blancs aux inscriptions qui diffèrent selon leur "clan" se rassemblent, et un premier omikoshi se construit. Car il faut d'abord assembler le sanctuaire portatifs et les longues poutres qui serviront aux hommes à le porter, et le tout dans un rituel précis. Le char de la divinité se fait bénir dans un petit sanctuaire provisoire installé un peu plus loin. Les hommes s'assoient et semblent prier. Ils répètent le geste plusieurs fois, se relèvent, semblent s'échauffer, s'organisent, commencent à porter l'omikoshi en lui faisant faire des allers-retours successifs, et en le faisant tournoyer à chaque fois dans l'autre sensdans une lente puis frénétique marche dans laquelle ils se relaient déjà. Ils accompagnent bien entendu l'effort du fameux "wasshoi wasshoi" et d'autres cris que je ne connais pas. Peut-être pour prouver leur bravoure et leur force dans cette épreuve annuelle, ils s'immobilisent et font basculer violemment le char d'avant en arrière en amortissant chaque mouvement avec les épaules. Je n'ose déjà pas imaginer l'état de leur corps à la fin de la journée s'il commencent comme ça...!
 














Enfin, après d'interminables va-et-vient, le signal est donné et ils prennent la route de la procession. Les trois omikoshi partiront ainsi les uns après les autres à environ 45 mn d'intervalle. Lors de cette impressionnante épreuve de force, je rencontre une Française de Tokyo qui fait visiter le Japon à ses parents, et il s'avère qu'ils sont de ma ville et que ladite Française a étudié le japonais au même endroit que moi, avec la même prof. Que le monde est petit !!
Nous nous quittons lorsque je décide de suivre un tout petit bout de la procession. Le dernier omikoshi est engagé dans une ancienne arcade commerciale (encore !!) et je me fraye un chemin parmi la foule qui le suit. Je me retrouve derrière des hommes habillés dans des costumes qui me rappellent ceux des grands seigneurs de l'époque féodal, et...d'un homme à cheval ! Je m'approche un peu plus et me retrouve à marcher dans une galerie marchande à côté d'un pur-sang bai portant sur son dos l'incarnation d'un illustre personnage, peut-être un shogun ou un ancien empereur. Ce qui est sûr, c'est que le cheval, lui, grand, très fin et aux traits nerveux d'un cheval de course, ne fait pas du tout couleur locale. C'est drôle.
Les hommes et l'omikoshi s'éloignent dans une ruelle, et le cortège s'y engouffre. Je m'arrête là.






Il me faut reprendre un bus pour la gare, car je dois récupérer ma valise avant 20h00, heure de fermeture de la consigne. Eh oui, il est déjà tard, le temps que j'arrive à la gare et la nuit tombe. Coincée avec mon énorme bagage aux alentours de la gare, lessivée, assommée par l'humidité perfide, je vais tant bien que mal m'acheter à manger et m'installe près de la gare routière. Je n'en déloge pratiquement plus jusqu'à l'arrivée du bus de nuit. C'est long, trois heures...
A l'intérieur du spacieux bus qui m'emmène à Tokyo, je retrouve mon copain, qui m'avait prévenu qu'il avait embarqué sans problème quelques heures auparavant. Et nous voilà tous les deux à tenter de dormir un peu d'ici notre arrivée dans la capitale le lendemain matin, chacun fatigué de sa propre journée. Je quitte définitivement le Kansai pour cette fois !


Prochain épisode : Le Mont Fuji.

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